L’exemple d’Air France est intéressant sur la difficulté des plans de succession dans les entreprises. D’un côté, un P-DG promu de longue date, Pierre-Henri Gourgeon, de l’autre son successeur, un nouveau DG recruté de l’extérieur, Alexandre de Juniac dont la nomination semble assurée malgré les réticences du groupe à confirmer la nouvelle. Qu’en est-il dans les entreprises ? Comment remplace-t-on le top management ? Y a-t-il des règles en la matière ? Enquête.
Qui pour succéder à terme au P-DG du groupe ? Quel manager pour remplacer le directeur d’une filiale qui part à la retraite dans trois ans ? Plus généralement : comment anticiper l’évolution des comités de direction dans les cinq prochaines années ? Ces questions, essentielles à la bonne marche d’une entreprise, semblent pourtant minorées. Selon un sondage du cabinet Korn/Ferry paru en janvier 2010, 59 % des cadres interrogés pensent que leur entreprise ne dispose pas d’un plan de succession bien défini. Une enquête mondiale de Pricewaterhouse Coopers de 2008 indiquait, quant à elle, que près de la moitié des entreprises familiales ne disposent d’aucun plan de relève. Seules 16 % des sociétés interrogées affirmaient alors avoir mis en place un dispositif pour prévoir la succession de la plupart des postes de direction.
Identifier les profils clés
» Très peu d’entreprises sont bien organisées de ce point de vue, confirme Eric Gellé, directeur général de Lumesse France, éditeur de solutions de gestion des talents. Elles pensent, en général, que les personnes sont interchangeables. » Claire Vizzolini, senior manager RH au sein du cabinet de stratégie Kurt Salmon, estime que les entreprises anglo-saxonnes sont en avance sur cette question. » Mais, aujourd’hui, le vieillissement de nos dirigeants incite également les sociétés françaises à identifier et à former des remplaçants « , tempère-t-elle. L’idée fait donc son chemin dans les grandes directions des ressources humaines. Ainsi, au sein du groupe Axa, 400 noms de successeurs sont identifiés et présentés au comité exécutif. Idem pour SFR : » Dans notre entreprise, qui emploie 10 000 salariés, nous nous concentrons sur un périmètre de 80 personnes clés, qui représente les différents comités de direction du groupe « , témoigne Cécile Guillois Bouillet, la directrice du développement RH et de la formation. » Nous regardons qui peut leur succéder et étudions les éligibilités possibles à leur succession à court, moyen et long terme et comment eux-mêmes vont pouvoir évoluer dans l’organisation. » Au final, environ 200 personnes intègrent le plan de succession.
Air France : y a-t-il un pilote dans l’avion ?
Le conseil d’administration d’Air France se serait déjà prononcé sur la candidature d’Alexandre de Juniac comme DG d’Air France. Une information confirmée en interne par les organisations syndicales le 3 octobre 2011.
Malgré des démentis successifs, le nom d’Alexandre de Juniac, ancien directeur général adjoint de Thalès, succédant à Pierre-Henri Gourgeon court depuis plus de six mois. Le conseil d’administration s’est prononcé pour sa candidature et, côté organisation syndicale, l’information a été confirmée en interne ce lundi 3 octobre 2011, d’après nos informations. Pourtant, le communiqué officiel n’est toujours pas sorti. Selon un message diffusé en interne, celui-ci ne devrait paraître que courant octobre. Alexandre de Juniac devrait prendre ses fonctions en janvier 2012 tandis que Pierre-Henri Gourgeon sera nommé à la tête de la holding Air France-KLM-Alitalia.
Le même type de démarche est adopté chez Accenture France (5 300 collaborateurs) où » un dispositif de plan de succession a été mis en place sur une vingtaine de postes clés, c’est-à-dire les membres du comité de direction, que l’on appelle le board, et leurs bras droits « , affirme Myriam Couillaud, la DRH France. Ce qui implique l’élaboration d’une liste d’au moins une cinquantaine de collaborateurs considérés comme des successeurs potentiels. Autre exemple : le groupe d’analyse, de contrôle et de certification industrielle SGS (2 500 salariés en France dans 20 sociétés) a fait émerger 23 postes – présidents des sociétés et patrons des lignes fonctionnelles – pour lesquels » nous devons identifier le successeur en cas d’urgence et celui à plus long terme « , affirme son DRH Francis Bergeron. Au final, environ soixante personnes sont considérées comme de possibles futurs dirigeants.
Mobilité et formation
» Dans un plan de succession idéal, résume Eric Gellé, on identifie trois ou quatre successeurs potentiels pour un poste, soit deux en interne et au moins un en externe. » Reste que cette première étape ne règle pas le problème crucial : éviter un trop grand turn-over parmi les cadres dirigeants et faire évoluer le management en douceur. » Si l’on veut que cela aboutisse, il ne suffit pas de mettre des noms, il faut accompagner les personnes « , indique Claire Vizzolini. » Derrière un plan de succession, il y a plus qu’une photographie, il y a un processus vivant « , renchérit Eric Gellé. Et là, chaque groupe a sa méthode, ses leviers… et son budget. Accenture France a tout de l’entreprise anglo-saxonne : elle privilégie, comme l’exprime sa DRH, le » training on job « . Traduction : pas de programme de formation dispendieux ou de coaching particulier, seule la mobilité et l’expérience de terrain comptent. » Nous construisons une cartographie des compétences pour chacun et les axes à développer « , explique Myriam Couillaud. En fonction des aspirations et des améliorations décelées par le conseiller carrière, chaque manager sera orienté vers tel ou tel poste, » pour le faire grandir « . Chez SFR, la politique est différente, même si la mobilité demeure un élément important : chaque année, 10 personnes intègrent un programme de 18 mois à l’Insead et des coaching sont proposés autour de la vision stratégique et la performance. » Nous axons les moyens sur le développement des compétences comportementales comme le management, le leadership et la communication « , résume Cécile Guillois Bouillet. En clair : passer du statut d’expert à celui de leader via la formation et le développement personnel.
Successeur… sans le savoir
Parcours professionnel balisé, formations de haut niveau, coaching : les successeurs sont parfois choyés. Mais pas informés de leur statut. Du moins, pas officiellement. » La confidentialité doit être la règle, notamment pour ne pas exacerber la concurrence en interne « , explique Eric Gellé. Myriam Couillaud reconnaît que les principaux intéressés ne sont pas formellement informés » pour ne pas créer des attentes que nous ne pourrions peut-être pas tenir « . Globalement, » un plan de succession est totalement secret et seulement communiqué à la DRH et au comité exécutif « , affirme Claire Vizzolini. Il est donc élaboré en vase clos, entre les dirigeants du groupe et les managers des business unit, qui jouent le rôle de détecteurs. » Et c’est là la limite de l’exercice « , ajoute la consultante. Car, selon elle, un comité de direction se restreint souvent aux personnes qu’il connaît. Ce qui ne valorise pas les femmes. Car, autre travers : les managers sollicités pour identifier des successeurs recommandent souvent des collaborateurs qui leur ressemblent et nuisent ainsi au renouvellement et à l’innovation. Ce que confirme d’expérience Francis Bergeron qui souhaite mettre en place un comité de sélection plus élargi afin d’éviter que ses directeurs l’orientent trop vers des clones. En outre, un manager évite parfois de faire émerger un nom, même pertinent, pour qu’il ne quitte pas trop tôt son équipe…
Une réussite en demi-teinte
Même s’il permet de limiter le turn-over des managers clés grâce à un accompagnement sur mesure, le plan de succession n’est pas toujours couronné de succès. Francis Bergeron évalue à un sur deux les successeurs qui prennent effectivement le poste secrètement promis. Pas de chiffres chez SFR, où la directrice du développement RH consent juste à parler d’un » plan plutôt bien respecté « . Chez Accenture, pas de statistiques précises non plus mais un sentiment positif : » En général, les postes de leadership sont pourvus en interne, très peu sont comblés par un recrutement externe. Je me dis que cela fonctionne dans à peu près 9 cas sur 10 « , juge Myriam Couillaud. Pour Claire Vizzolini, les échecs ne signent pas l’inutilité des plans de succession : » Même si l’objectif premier est raté, cet exercice permet d’identifier ce que l’entreprise veut mettre en place du point de vue managérial. Il pousse à s’interroger régulièrement sur ce qu’est un manager et comment le former. » Un point déjà positif.
Réussites et loupés des grandes successions
Les tops
L’OREAL : Jean-Paul Agon, nommé PDG en mars 2011, a entamé sa carrière dans le groupe en 1978 pour accéder au poste de directeur général en 2006 après un parcours sans faute. Il a remplacé Lindsay Owen-Jones, nommé PDG en 1988. Une succession sans accroc.
BNP PARIBAS : début 2003, Michel Pébereau, PDG de la banque, annonce que Beaudoin Prot prendra sa succession à la direction opérationnelle. C’est chose faite en mai pour cet énarque entré vingt ans plus tôt au sein du groupe et qui devient alors administrateur directeur général après une progression sans fausses notes.
Les flops
RENAULT : Patrick Pélata était le dauphin désigné de Carlos Ghosn à la tête du constructeur automobile. Entré comme chef d’atelier à l’usine de Flins en 1984, il a suivi la voie royale et balisée jusqu’au poste de directeur général du groupe en 2008. Mais l’affaire de vrai-faux espionnage l’a poussé à la démission en avril. Il a été recasé au sein de l’Alliance Renault-Nissan.
SOCIETE GENERALE : En 2008, Jean-Pierre Mustier, énarque, est à la tête de la puissante banque de financement du groupe. Il a gravi tous les échelons depuis son entrée comme » simple » trader en 1987 et est pressenti pour succéder au PDG Daniel Bouton. L’affaire Kerviel éclate : mis en cause, il est évincé et doit accepter un placard doré à la tête de la société de gestion de la banque.
Manuel Jardinaud pour LEntreprise.com, publié le 04/10/2011